Auteur : Clémence
La House of boner « une farce de la famille parfaite »
À l’été 2018, Robin des doigts et Medusa Dickinson se sont mariés. Lors d’une performance, bien sûr. Mais l’idée est là. Par leur union, ils ont créé un groupe de drags-queens et kings qui s’appelle la « House of boner ». Depuis, ils cherchent à faire connaitre la communauté LGBT+ du grand public. Cette house propose donc des activités de sensibilisation et en profite, souvent, pour critiquer la société actuelle qu’elle juge « trop normée ». « Cette house avec un papa et une maman est comme une farce de la famille parfaite », précise Medusa Dickinson. Dimanche 15 septembre, pour transmettre leur message aux enfants, ils ont organisé une lecture de contes à la libraire Fiers de lettres. Medusa Dickinson nous dit tout de ce projet, dans les tuyaux depuis la création de leur maison du bonheur.
D’où vous est venue l’idée de cette lecture de contes ?
C’est le tout premier projet qu’on voulait faire avec Robin. On savait que ça existait déjà à Paris. Ça nous a touché dès le début parce qu’avec notre house, on cherche à casser les codes. On a l’habitude de faire des soirées avec de la communauté LGBT+ et on voulait élargir notre visibilité et notre engagement à des gens qui ne sont pas concernés par les LGBT+. On s’est dit : « Pourquoi ne pas faire de la lecture de contes auprès des enfants? ».
Quel est le but de ce type d’action ?
Le but n’est pas juste de se montrer mais de pouvoir faire passer des messages à une communauté qui n’est pas la nôtre. On cherche à faire découvrir aux familles hétéroparentales l’acceptation des personnes différentes. C’est une façon de lutter le harcèlement que des enfants pourraient subir. Par exemple : si on dit à tous les enfants, dès le plus jeune âge, qu’une fille a le droit de jouer au foot, elle ne sera jamais embêtée parce que les autres sauront qu’elle en a le droit. C’est un moyen pour les enfants qui sont jugés comme différents de se sentir normaux et d’être acceptés. Ce genre de lectures permet aussi d’éduquer les parents et de leur donner une bonne base éducative qu’ils transmettront à leurs enfants.
Ce n’est pas trop perturbant pour un enfant de voir une drag-queen et un drag-king lire un conte, quand on n’y connait rien du tout à la communauté LGBT+ ?
Le fait d’avoir une drag-queen et un drag-king en face d’eux les plonge dans un monde un peu féérique. On ne va pas se mentir, souvent ça les impressionne. Ça peut faire peur même. J’avoue avoir fait pleurer des enfants ! Bichon… en même temps il était tout petit ! Il devait avoir un an et d’un coup, il s’est retrouvé devant quelqu’un de gigantesque avec des talons hauts et une grande perruque… En plus, pour certains personnages on doit faire des grosses voix. Alors, il s’est mis à pleurer.
Comment tu te sens quand tu provoques ce genre de réactions ?
Je le comprend, le petit. De mon côté, c’est le genre de moments où même si je suis dans mes petites chaussures, sous mon maquillage et ma perruque je reste un humain. J’ai conscience que je peux surprendre. Je peux émerveiller mais aussi faire peur. D’autant plus quand je suis dans un milieu qui n’a pas l’habitude de moi.
Les adultes ont-ils les mêmes réactions ?
C’est très étonnant… Dans un milieu hétéro et même gay, on ne se sent pas toujours à sa place parce qu’on est une créature étrange. Mais on s’habitue très vite. Parfois, j’ai tellement l’habitude d’être marginalisé que je me dis : « Je m’en fiche, je vais m’amuser, ce n’est pas grave ». Avec des enfants, ça l’est encore moins parce que tu sais que tu intrigues… mais ce sont des enfants ! Ils ne connaissent pas et si tu leur explique gentiment ils vont t’accepter. C’est juste qu’avec eux, les réactions sont beaucoup plus intenses mais aussi plus volatiles et passagères : une fois expliqué, la peur s’en va. Pourquoi la vie n’est-elle pas aussi simple pour tout le monde ? Ce serait tellement chouette !
« Quand tu viens en drag, tu viens pas pour être humain. Tu es juste une créature fantastique et les enfants s’en fichent.«
Medusa Dickinson, drag-queen
Qu’est-ce que tu dis à un enfant qui te demande qui tu es ?
Si on me dit : “Je sais que tu es un garçon”, je ne vais pas répondre oui ou non mais plutôt demander pourquoi. Là, on va me répondre : “Parce que tu as une barbe”. Est-ce que tous les garçons ont une barbe ? N’y a-t-il que les garçons qui en ont une ? Une femme peut avoir une barbe ! Tous les hommes n’ont pas de barbe. L’enfant n’a pas conscience de tout ça mais par ces questions, on va lui faire comprendre qu’il n’y a pas de vraie norme. Au lieu d’avoir une réponse il en aura 150 000 et pourra se faire lui-même sa propre réponse. On n’est pas là pour dire homme ou femme, on est comme ci ou comme ça. Peu importe qui on est, on est tous magiques et merveilleux. Même sans perruque, même sans maquillage. Quand tu viens en drag, tu ne viens pas pour être humain. Tu es juste une créature fantastique et les enfants s’en fichent.
Aucun enfant n’a posé de question sur ton genre ?
La seule question que j’ai eue, c’est sur mon âge. Comme mon personnage de Medusa est très ancien, j’ai répondu que j’avais 472 ans. C’est plutôt ça qui a choqués parce qu’ils se sont demandé comment je faisais pour être aussi vieille. Tu te doutes bien que dans ce contexte, les questions sur le genre et la barbe, ils s’en fichent. C’est souvent une problématique d’adulte, en fait.
Il faudrait lire plus de contes aux adultes, alors ?
Imaginons qu’il n’y ait pas eu d’enfants, notre but est de continuer à faire des lectures, même si c’est pour des adultes. On cherche à parler de la culture de notre communauté ! C’est important de savoir d’où l’on vient et quels sont les mouvements qui ont existé avant même notre naissance. Quand je vois que des jeunes ne connaissent pas Stonewall, c’est quand même dommage ! C’est social, c’est politique. Nous sommes des drag-queens et kings politisés parce qu’on veut propager notre culture. On essaye de venir avec nos gros sabots et nos hauts talons pour expliquer notre histoire que tout le monde ne connait pas.
Quels genres d’histoires lisez-vous aux enfants ?

Aucun conte classique, alors ?
C’est sûr qu’on ne va pas lire « Le petit chaperon rouge ». Surtout qu’il y a beaucoup de sexisme dans les contes d’une manière générale. On a la chance d’avoir des contes qui parlent de l’homosexualité, des questions de genre… Avant ça n’existait pas et maintenant ça prolifère, heureusement ! C’est pour ça qu’il y a des groupes de drags comme celui de Shannabanana qui font aussi des lectures. On essaye d’ouvrir cette activité à tous et on aimerait même toucher les écoles !
Faire venir des drag-queens dans les écoles ?
Bien sûr, c’est très difficile. Un ami à nous travaille dans une école et a essayé d’en parler mais il n’y a rien de concret. J’ai contacté une école qui est assez ouverte d’esprit et même eux ont peur des réactions des parents. Il ne faut pas l’oublier : dans une librairie, ce sont les parents qui emmènent leurs enfants. Dans une école, on rentre dans un lieu privé. Il y a aussi ce coté “On connait de plus en plus la communauté drag mais on ne lui fait pas encore confiance à 100% ». On a encore beaucoup de chemin à faire. Même dans les lieux qui sont très acceptants, certains sont sceptiques et nous demandent de faire nos preuves et de revenir ensuite.
Propos recueillis par

Petit lexique LGBTQ+
Le sigle LGBT a remplacé le terme «gay» suite aux émeutes de Stonewall
Dans les années 90, le sigle LGBT (lesbienne, gay, bi, trans) a remplacé le terme «gay», jugé trop restrictif.
Le sigle LGBT le plus long contient
Aux États-Unis, le sigle le plus long est LGBTTQQIAAP : lesbienne, gay, bisexual, transgenre, transexuel, queer, questioning (des personnes qui se questionnent sur leur sexualité), intersex, asexuel, alliés (les alliés hétérosexuels de la cause), pansexuels (qui revendiquent une attirance pour n'importe quel genre).
Une drag-queen est un homme qui a changé de sexe pour devenir une femme
On dit d'un homme qu'il est une drag-queen s'il s’habille et se maquille en femme pour assurer le spectacle. Souvent, les drag-queens réalisent des performances et sont actives dans le monde de la nuit. Une personne qui choisit de changer de sexe ou de genre au quotidien est une personne trans-genre ou trans-identitaire.
Drag-queen et travesti veulent dire la même chose
Une drag-queen est une personne qui utilise les atouts féminin de manière exubérante et loufoque. Le côté théâtral est volontairement appuyé. Ex : RuPaul. Un travesti est une personne qui se donne l’apparence du sexe opposé, par les vêtements, le maquillage et l’allure. Ex : Élie Kakou dans le rôle de Madame Sarfati.
Les femmes peuvent-elles être drag-queens ?
Il y a aussi des femmes qui utilisent les codes du drag-queen (maquillage extravagant, perruque...) lors de performances. Elles exagèrent ainsi leurs traits pour se créer un personnage féminin. Il existe aussi des drag-kings, ce sont des femmes qui se transforment en homme, à l'instar des drag-queens.
Drag veut dire "dressed as a girl"
Le terme "drag" vient de l'anglais "dressed as a girl" qui signifie "habillé comme une femme".
Lors de leurs performances sur scène, beaucoup de drag-queens font du...
Traduit littéralement de l'anglais, lip-sync veut dire "synchronisation des lèvres". Comprenez, dans ce contexte, du chant en play-back. En soirées, beaucoup de drag-queens font du lip-sync.
Un drag-king est une femme qui performe son genre pour devenir un homme
Si les drag-queens existent, l'inverse aussi ! Certaines femmes se changent en homme à l'instar des drag-queens et sont appelées drag-kings.
Chez les drag-queens et kings, une house est...
Les drag-queens et les drag-kings créent des house. Ce sont des regroupement de personnes qui servent à s'entraider et à pouvoir démarcher certains événements pour être plus facilement payés.
A l'origine, le mot queer était une insulte
Queer est un mot anglais qui signifie “bizarre”. A partir de la fin du XIXe siècle, il devient une insulte populaire désignant les personnes homosexuelles. Des activistes se réapproprient le terme au début des années 1990 pour affirmer des sexualités et des genres subversifs. Ce terme regroupe désormais les personnes qui n’adhèrent pas à la vision binaire des genres et des sexualités (homme/femme, hétérosexuel, homosexuel) et ne veulent pas être catégorisées selon les normes imposées par la société.

Vous avez terminé le quiz ?
La fin du quiz annonce aussi la fin de l’introduction de ce blog. Vous êtes maintenant prêts à découvrir mon immersion dans le monde du drag. La première étape commence à Montpellier. Dans un bar, appelé Les Trois singes, qui accueille des soirées queer étonnantes.
iwantodragfree.fr, c’est quoi ?
Bienvenue sur le blog iwantodragfree.fr ! Maintenant que vous êtes sur cette page, il n’y a aucun retour en arrière possible. Vous venez déjà de commercer votre immersion dans l’univers des communautés drag-queens, drag-kings et queer. Si vous avez peur de questionner votre genre, il est possible que vous trouviez cet endroit déroutant. Mais avec un peu d’ouverture d’esprit et de curiosité, ce voyage promet d’être grisant.
Peut-être que, comme moi, vous n’y connaissez pas grand-chose à la communauté LGBT+ parce que vous n’en faites pas partie. Pas de panique. On va tout reprendre depuis le début et vous allez comprendre, en quelques clics. Dans trois villes – Montpellier, Grenoble et Lyon – préparez-vous à découvrir des reportages de soirées, des portraits et des interviews de personnalités hors du communs. Dans un univers qui était autrefois caché et tend de plus en plus à s’ouvrir aux autres : le drag. Avec ses joies, ses peines et ses visages qui se transforment d’un coup de pinceau en un autre genre.

Après deux ans
d’études de journalisme
Iwantodragfree.fr c’est aussi (et surtout) mon blog de fin d’étude. Grâce à lui, si mon jury a saisit la référence à Queen dans l’intitulé, je devrais valider mes deux ans d’exploration journalistiques à l’ESJ PRO Montpellier. D’explorations, oui, parce que ma formation est en alternance. Je suis donc déjà journaliste. Peut-être m’avez-vous lue dans les pages iséroises du quotidien régional Le Dauphiné Libéré. En deux ans, j’ai même eu l’occasion d’écrire dans quatre éditions du journal : Grenoble, Voiron, Saint-Marcellin et Bourgoin-Jallieu. L’occasion à chaque fois d’échanger avec des confrères et consœurs qui m’ont tous énormément appris sur le métier que j’exerce aujourd’hui.
Proposé par Clémence Beyrie : journaliste, étudiante en alternance à l’ESJ PRO de Montpellier.
Clin d’œil à Manon,
la reine du bingo
Le choix du sujet de ce blog était libre. Si j’ai décidé d’écrire sur l’univers LGBT+, c’est grâce à la reine du bingo grenoblois. Manon.
À vrai dire, j’ai connu Manon un peu par hasard. Un soir d’été, elle m’a raconté son histoire, parlé de son identité et de ce qu’elle aspirait à être. À ce moment-là, Manon était encore Bastien. Depuis, ses cheveux ont poussé, son style vestimentaire a évolué. Et son nom a définitivement changé.
Désormais, l’appeler autrement que Manon n’est plus envisageable. Tout le monde ne la connait plus que sous ce nom. Quant au monde qui l’a vu naître, on pourrait parier qu’il ne la reconnait plus. C’est tant mieux. Manon est une personne à part entière. Et le soir, quand l’envie lui prend, elle change encore de nom et devient Clothilde. Une drag-queen sulfureuse à l’accent marseillais.
Miss Dicky, la Bulgare

Kris déambule à moitié nu dans son appartement grenoblois. Le sourire aux lèvres, il lance : « Désolé si ça te gêne, je suis un peu chlostrophobe, je n’aime pas rester seul dans une pièce. » Alors, tout en tirant sur ses collants, il raconte tout. Ce qu’il utilise pour se transformer, la première fois où il a enfilé des talons hauts, sa vie de jeune adulte en France et son enfance passée en Bulgarie. Il faut dire que l’on n’aurait pas pu rencontrer plus enthousiaste que Kris, à l’idée de participer à Iwantodragfree. Enfin, Miss Dicky.

Qui es-tu, Miss Dicky ?
« Je suis une drag-queen. Mon truc, pour les performances, c’est de faire du lip-sync. Le nom, Miss Dicky, c’est l’idée de mon manager et mari, Esteban. J’ai déjà fait du transformisme avant, quand j’étais en Bulgarie. »
A plus de 2000 kilomètres de Grenoble, c’est à Stara Zagora, en Bulgarie, que Kris a vu le jour. C’était il y a 21 ans. « Je n’ai pas de problème avec ça. Mon histoire, tout le monde la connait. Je peux te la raconter. J’ai été élevé par mon demi frère parce que mes parents m’ont abandonné à la naissance. Je n’ai jamais su pourquoi », dit-il simplement. Sans trop s’étendre sur son enfance, il enchaine : « Je suis arrivé en France fin 2017, pour mes études. Je n’avais rien, à peine 1000 euros sur mon compte. J’ai été à la rue pendant quelques mois. A la gare, avec toutes mes affaires. » Deux mois après son arrivée, il trouve enfin un travail et réussi à se faire loger.

S’il est important d’évoquer la Bulgarie pour dresser le portrait de Kris, c’est parce que c’est là qu’il a fait ses premiers pas en talon haut. En plus de ses premiers pas, tout court. « Je suis devenu drag-queen sur un coup de tête. Je suis l’enfant d’une grande drag, qui était mon coiffeur. Un jour, il m’a parlé de ce qu’il faisait, m’a montré des photos. A ce moment-là, je ne connaissais rien de tout ça ». Mais le jeune Bulgare est un passionné de théâtre d’improvisation. Alors, il se lance. Et cette expérience va durer trois ans.
« Un jour, des mecs nous ont suivi et lancé des pierres »
Trois ans pendant lesquels il se produit avec un petit cercle de drag-queens amateurs, dans un bar bulgare. « On essayait toujours d’y aller avec des mecs baraqués pour nous protéger. Souvent, on se préparait dans le bar parce que le trajet n’était pas sûr. » A tel point que régulièrement, le petit groupe est pris à partie : « On a eu trop de problèmes. On nous attaquait directement. Un jour, des mecs nous ont suivi et lancé des pierres. Ils venaient même jusqu’à chez nous pour nous menacer ». Inutile donc de préciser que son pays natal ne lui manque pas. « Je déteste cet endroit », ajoute-t-il quand même.

Aux côtés de son futur mari, Esteban, Kris est heureux en France. D’autant plus, depuis que ce dernier a accepté qu’il reprenne le drag. « J’ai arrêté pendant deux ans quand je suis arrivé ici. Quand j’ai voulu m’y remettre, j’ai dû convaincre Esteban, parce qu’il était un peu sceptique vis-à-vis de tout ça ». Alors, maintenant, son côté drag-queen, il n’a pas tout du envie de le cacher. « Je ne comprend pas ceux qui ne veulent pas en parler, ce n’est pas l’idée du drag ! Le but, c’est de se montrer ! Surtout qu’on le peux, on n’est pas dans un pays où c’est illégal! »

En 2017, les soirées drag n’étaient pas vraiment à la mode. « C’est vrai que ça s’est développé ces dernières années. Avant, à Grenoble, il n’y avait rien et là, les soirées s’enchainent ! » Selon lui, tout cela est dû à « une nouvelle vague de gays qui est arrivée à Grenoble. » D’ailleurs, son petit cercle de drag queen grenoblois se compose d’une dizaine de personnes. « Que des jeunes, la plupart ont 21, 22 ans, comme moi. »
Voudrait-il vivre de cette passion ? « Non, je n’ai jamais fait ça pour gagner de l’argent. Si je pouvais être payé pour mes performances, j’utiliserai tout pour m’acheter de nouvelles tenues. » Alors, il cherche actuellement un emploi dans l’accueil, par exemple. Mais même là, sa deuxième peau de queen ne le quitte pas. « Je suis très ouvert, je le dis à mes employeurs ! » Certains rougissent, d’autres s’intéressent. Peu importe, ils devront l’accepter. Derrière la silhouette de Kris, il y a l’ombre de Miss Dicky.

Freaks-tion, la scène ouverte queer du militantisme LGBT+

Pendant que Robin des bois
vole aux riches pour donner aux pauvres,
Robin des doigts milite à Montpellier
pour les droits de la communauté LGBTQ+.

D’un pas discret, un brigand au grand cœur pousse la porte d’un bar de la rue de la Fontaine. Robin des doigts vient de faire son entrée aux Trois singes. Même les néons rouges de l’enseigne grésillent à son passage. Nous sommes le mercredi 26 juin. Cette nuit, Robin des doigts porte une chemise à fleurs qui contraste avec sa barbe naissante. Une barbe d’un noir profond. Trop profond pour être réelle. Cette barbe n’en est pas une.
Robin des doigts est un drag-king. Et si son entrée n’est pas plus remarquée que cela, c’est parce qu’il n’est pas le seul à jouer avec son genre. Un drag-king parmi les drag-queens et les personnalités queer, à l’image d’Arielle. Cette petite sirène en robe rose porte la coiffe d’un pirate. Elle invite les passants à entrer dans le bar. Ce soir, c’est le grand soir. La première scène ouverte queer de Montpellier, baptisée Freaks-tion. Frissons garantis.

«Quand je dis queer, on me demande toujours ce que c’est, je passe mon temps à l’expliquer», rit-elle, accoudée à la pancarte “scène ouverte”.
Et donc, queer, c’est quoi ?
«Queer, ça veut dire bizarre en anglais. C’est un terme qu’on utilise, qui rassemble tout ceux qu’on a considéré un jour, ou qu’on considère toujours comme bizarre.»
La promesse que fait Arielle, cette nuit-là, c’est qu’un moment unique se trouve derrière la porte des Trois singes. «C’est une scène très variée. On a déjà eu quelqu’un qui est venu parler d’une agression sexuelle dans la rue… Mais il y a aussi de la danse, du strip-tease, du play-back. L’idée est d’aller de plus en plus vers un événement engagé et militant.»
Voilà un an qu’Arielle est une sirène, quand l’occasion se présente. « En fait, Arielle, c’est mon deuxième prénom, sourit-elle. J’avais envie de le porter depuis longtemps. » Un jour, ce passionné de théâtre, de 25 ans, a sauté le pas. Il a créé de toute pièce son personnage et se réjouit de monter sur scène : « Dans ces soirées, il y a un côté safe (sécurisant, NDLR) qui est très important. Tout le monde est bienveillant. Peu importe ce qu’on fait sur scène, on ne va jamais être jugé. C’est une expérience qui est vraiment chouette.»
«Avant, on se rencontrait plutôt dans des soirées organisées par la communauté»

Engagé et militant. Rien qu’à voir Arielle déambuler dans une rue passante du centre-ville de Montpellier, on comprend que tout cela n’a rien d’anodin. L’aurait-on vue, il y a 20 ans, 30 ans, démarcher les passants à deux pas d’une église ? «À mon avis, ces soirées-là sont plus accessibles maintenant, note Emma, une jeune spectatrice. Avant, quand on était drag-queen, king ou queer, on se rencontrait plutôt dans des soirées organisées par la communauté.» Quant à la définition de queer, elle tente : «Pour moi, queer, c’est une case… pour ceux qui ne veulent pas être dans une case. Ici, on peut venir en étant qui on est, sans être jugé.»
Le récit d’Emma, c’est aussi celui des difficultés rencontrées par les LGBT+. « On cherche des endroits safe comme celui-ci car le reste du temps, il m’arrive d’être insultée parce que je suis lesbienne. Un jour on m’a même craché dessus. » D’ailleurs, en ce moment, la jeune femme recherche un appartement. « C’est compliqué, j’ai eu de mauvaises expériences avec certains propriétaires. Maintenant, j’hésite à dire que je cherche un appart’ avec ma meuf, que je suis en couple… ou que je suis en collocation. » Alors, cette soirée queer est aussi un moment d’évasion, pour elle. Suspendu au dessus d’une réalité qui n’est pas rose, mais bel et bien arc-en-ciel. « J’aimerais bien me lancer dans le drag-king, confie-t-elle. Mais pour cela, il faut de l’audace, de la créativité, oser se lancer et jouer avec les codes. Ensuite, un peu de make-up et quelques fringues suffisent. »


Les lumières s’éteignent.
Le visage d’Emma se perd dans la foule et Marin, l’organisateur de la soirée, saisit le micro. La soirée Freaks-tion vient tout juste de commencer.

Levé de rideau sur la communauté queer
Dans la pénombre d’un bar transformé en sauna en ce soir de canicule, on s’attend à voir défiler tout un cortège de paillettes aux couleurs de l’arc-en-ciel. Mais cette nuit queer sera bien plus surprenante. Pour l’instant, elle commence avec beaucoup de légèreté. La première performance d’Arielle est suivie par celle d’une dénommée Mindy Supergreen. Sous les applaudissements, elle fait claquer ses talons hauts sur le plancher de la scène. Place au spectacle.
Qui se cache derrière Mindy Supergreen ? Top chrono. Vous avez le temps d’une chanson, pour le deviner. La présence d’une perruque ne fait aucun doute. Le maquillage, surchargé, transforme peut-être les traits d’un visage plutôt masculin. En revanche, ses mains, sa poitrine… Ce personnage est-il vraiment une drag-queen ?
Si le principe d’une soirée queer et de questionner le genre, l’effet est réussi. Son jet de confettis termine d’éblouir le public. Les sifflements et les cris ne se font pas attendre. La surprise se de découvrir, le lendemain, sur son profil Instagram que Mindy Supergreen est une femme. Une femme, qui joue avec les codes des drag-queens.
La folie retombe lorsque Medusa Dickinson (lire son portrait) s’empare du micro. La fantaisie laisse place au drame, raconté par une drag-queen qui semble être en deuil. Passer du rire aux larmes, c’est donc ça, le principe d’une soirée queer ?
Des cicatrices révèlées sur scène
C’est bien là que se trouve toute la complexité de cette soirée Montpelliéraine. Pour être honnête, on pensait voir des performances drag-queens en entrant dans ce bar. De la danse, du lip-sync (play-back)… Sur la dizaine d’artistes qui sont montés sur scène, seuls trois l’ont fait. Les autres ont profité de cette tribune pour faire élever leur voix et parler des difficultés rencontrées par les LGBT+. Une étudiante en théâtre a même proposé un extrait d’une pièce de théâtre qu’elle a écrite. Sur scène, elle racontait le suicide d’une jeune fille homosexuelle. Une autre femme, déguisée en pirate, a clamé des chansons féministes.
Une troisième avait écrit le récit de son coming-out : “Ok, j’avais prévu de parler cinq petites minutes et en écrivant mon texte, je me suis retrouvée avec cinq pages.” Cinq pages qui détaillent la vie d’une enfant qui se découvre lesbienne dans une famille catholique. D’une tentative de suicide qu’elle a caché pour ne pas faire mauvaise impression à l’église. Pourtant, ces cicatrices sont là, toujours. Sur cette scène, devant une cinquantaine d’inconnus, elles hurlent leur douleur. Et le public applaudit la jeune femme d’avoir jeté ce fardeau, façon thérapie de groupe. Ce soir-là, la scène queer n’a plus rien du divertissement. Elle est devenue en quelques heures la voix du militantisme LGBT+.

Les deux visages de Medusa Dickinson

«Je ne vais pas te faire ce cinéma de “nous sommes deux”», sourit Christophe. Pourtant ce jeune Nîmois a bien deux visages. La nuit, quand l’envie lui prend, il ouvre ses palettes de maquillage et coiffe sa perruque. En quelques heures, il atténue ses traits masculins et change de genre. Comme par magie, sous un nuage de fond de teint et de paillettes, il devient Medusa Dickinson. Une drag-queen réputée de la scène LGBT+ montpellieraine. Enlevons une seconde sa perruque et son maquillage extravagant. Derrière ses longs cils, il y a bien Christophe. Une personne pleine de sensibilité et de bienveillance. Homosexuel et militant.
Une pincée de Christophe et un peu de Medusa. Dans ce mélange des genres, c’est toujours la même personne que l’on aborde. « Medusa m’a juste forcé à avoir confiance en moi”, précise-t-il. Une confiance qui lui est nécessaire pour éduquer les consciences et lutter contre les discriminations qu’il a pu subir dans sa vie. À cause de son homosexualité. Quand il était plus jeune, les insultes homophobes le rendaient triste ou colérique. Aujourd’hui encore, quand il enfile les talons de Medusa Dickinson, il prend le risque de choquer. Voire même, de provoquer le dégout de certaines personnes qui ne supportent pas les drag-queens ou la simple présence de la communauté LGBT+.
« Ça fait 23 ans que je suis homosexuel, 23 ans que je subis des violences »
Avec du recul, maintenant, ces remarques l’affectent moins. Il voit les choses différemment et réussit à prendre de la distance : « La réaction violente par les mots est une forme de violence, mais elle n’est pas grave. Les insultes ne sont pas graves non plus. Les comportement violents, en revanche, font peur. Mais je ne vais pas te mentir, ça fait 23 ans que je suis homosexuel, 23 ans que je subis ça. Je n’ai plus trop peur, en fait ».
Mère de la House of boner
« On a fait un faux mariage avec Robin des doigts lors d’une performance et depuis nos personnages se considèrent comme mariés l’un et l’autre », explique Christophe. Medusa et Robin forment donc un couple marié… d’un homme et d’une femme ! « C’est assez drôle dans le milieu drag. On est la première house en France à dire que notre house est née d’un papa et d’une maman. » Le but de cette union est de pouvoir créer une house. C’est un regroupement de drag-queens et de drag-kings. Baptisée la “House of boner“, elle leur permet d’interpréter une sorte de farce de l’hétérosexualité et de la famille parfaite. « C’est pour ça qu’on s’appelle la Maison du boner. Avec un papa, une maman, les enfants et le golden retriever, la sortie du dimanche à la messe et tout ces trucs à la con. Nous, notre messe, ça va etre de remuer nos fesses sur du Madona ».
Grâce au drag, il arrive plus facilement à engager la conversation pour faire connaître sa passion et tenter d’élever le débat. « Que ça ne plaise pas, je m’en fiche. Il y a plein de trucs dans la vie qui ne plaisent pas. Mais ce n’est pas pour autant que l’on va cracher dessus. Avec le drag, c’est pareil ». Et quand la discussion n’est pas possible et que les violences physique deviennent une menace, Christophe a la solution : « Si quelqu’un essaye de me toucher je vais sacrément lui maraver la gueule parce que je n’ai pas pris des cours de self-défense pour rien ! Et crois-moi, ça impressionne une drag-queen qui se défend ! »
Bientôt des ateliers de self-défense ?
Méfiez-vous donc des drag-queens. Face aux comportements violents, elles ont une arme redoutable : des talons hauts. « Et un coup de talon dans la tempe, crois-moi, ça peut faire très mal », lâche-t-il. Plus sérieusement, avec la House of Boner (lire l’encadré), Christophe envisage d’organiser des cours collectifs de self-défense. « On fait souvent face à de l’insécurité en ville. C’est le cas des femmes, aussi ! Alors, pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas un événement, ensemble, pour apprendre à se défendre ? Tu t’imagines, toi, casser la gueule à des gens avec des drag-queens et des drag-kings ? » Le cours en lui-même pourrait être intéressant pour Christophe, qui cherche à tout prix à lier le grand public à la communauté LGBT+.
Avec tout cela, il était impossible pour ce Nîmois de créer une drag-queen seulement divertissante. La danse, ce n’est pas vraiment son truc. Alors, quand Medusa Dickinson est de sortie, elle est militante et engagée pour les droits LGBT+. Pour ses propres droits, en fait, et pour affirmer sa liberté d’aimer et d’être ce qu’elle est. Chaque pas que fait Medusa est une revanche que Christophe prend sur la vie : « Le fait de sortir dans la rue avec des talons et du rouge à lèvres, c’est un acte militant. Nous, on essaye de le politiser encore plus. On veut faire réfléchir notre communauté mais surtout les autres. Sensibiliser à l’homophobie mais aussi à la transphobie, la biphobie, le racisme, la misoginie… » Un long combat que Christophe compte bien mener de front. Seul. Et le soir, avec Medusa Dickinson.

Robin des Doigts : « Je peux avoir un vagin, être une femme et être très masculine »

Robin des doigts était le dernier à monter sur scène à la soirée Freaks-tion de Montpellier (lire ici). Comme si cette performance lui était adressée, il a parlé de sa mère, victime d’un AVC, qui semble aujourd’hui se remettre de ses séquelles et redécouvrir la vie. Nous l’avons rencontré pour parler de ce qu’il est : un drag-king. Saviez-vous même que cela existait ? « Depuis que je suis gamin, j’ai toujours aimé me travestir, je me déguisais en mon père. Jusqu’à l’âge de 13, 14 ans, juste avant l’adolescence, je me considérais vraiment comme un garçon. En tout cas, dans tous les rôles sociaux », entame-t-il. Il ? Elle ?
« Tu sais, normalement on ne parle pas trop de ça chez les drag, rit Robin. Qu’est-ce que tu veux savoir ? Je m’appelle Lucie, j’ai 29 ans et je suis commerciale… voilà ». Ce voilà en dit long sur sa pensée. Quand elle est Robin des doigts, Lucie ne parle pas d’elle. « Le problème, c’est surtout en soirée. Les gens te demandent souvent ce que t’as entre les jambes, c’est assez gênant en fait. J’entends des : “Oui, non, mais je veux dire, t’es un garçon ou t’es une fille ? Mais t’as une bite ou t’as une chatte ?” Je viens de danser ou faire un stand-up, je ne comprends pas trop le but de parler de mon entre-jambe. Mais ça c’est l’idée binaire qu’on a des choses ». Pour être tout à fait clair, Lucie se considère comme une femme cis-genre. Autrement dit, elle se sent bien dans le corps de femme dans lequel elle est née. Mais elle aime aussi performer son genre. Depuis toute petite.
« Je peux avoir un vagin, être une femme et être très masculine »
En 2015, elle participe à son premier atelier drag-king, organisé par Louis Deville, un king parisien. Derrière Louis Deville, il y a une américaine qui vient du cabaret. Elle a été l’une des premières femmes à faire du drag-king en France. « J’y suis allée à reculons. J’avais peur que ça me ramène à des questionnements que je pensais réglés, sur mon statut de femme, pas femme… j’étais bien dans mon corps et dans ma peau mais je sentais que je ne correspondais pas au rôle que m’attribue la société parce que j’ai un vagin. » Alors, pour explorer toutes les facettes de sa personnalité, elle s’y rend avec sa copine de l’époque et tout se passe bien. Lucie est même rassurée : « Je crois que tout ce que je suis et que je produis en interaction sociale et en comportements, ce sont des choses que je construits, que je choisis ». Finalement, tout cela n’est pas binaire et ne s’inscrit pas dans un modèle prédéfini par la société. « Je peux avoir un vagin, être une femme et être très masculine. Et inversement. Et en fait, je m’en fout. Ce n’est pas quelque chose qui est compliqué à vivre comme ça a pu l’être avant ».
Cette première transformation en drag-king la libère et lui permet d’approfondir son questionnement : « Ok, le genre c’est social. Mais la masculinité, la féminité, qu’est-ce que ça veux vraiment dire ? » Elle assiste à son premier cabaret de kings et en ressort très impressionnée. C’est à partir de là qu’elle commence à se “kinger“ chez elle et en soirée, de temps en temps. « D’ailleurs ce n’était pas forcément des soirées drag. C’était seulement moi, en drag-king. C’était ce que je voulais être et ce que j’étais. Parfois j’y allais aussi en fille. Ça a duré plusieurs années ».
Son drag-king est une gouine
À cette période-là, Lucie habite à Marseille et prépare son arrivée à Montpellier. Ce déménagement, en 2017, marque aussi un nouveau départ dans sa vie de drag-king. « J’avais envie de faire quelque chose d’un peu plus travaillé, d’avoir un vrai personnage, faire la scène et évoluer dans un milieu drag ». Malheureusement, lorsqu’elle arrive, la scène drag montpelliéraine est quasi-inexistante mais Lucie ne se décourage pas. Elle travaille son personnage et sort dans les bars de Montpellier. Robin des doigts est né.
D’où vient ce nom ? « J’aime bien l’idée d’avoir un petit héros qui donne aux riches pour donner aux pauvres. Des doigts, c’est décalé, ça rend mon héros un peu bancal. Parce que Robin n’est jamais 100% sérieux, il y a toujours un truc qui merde chez lui ». Le personnage de Robin des bois devient donc sa version drag, Robin des doigts. Drag et lesbien : « Mon drag-king est une gouine et ça, c’est inséparable. C’est mon identité politique, notamment queer. Pour rappeler tout ça, “des doigts“, c’était parfait », sourit-elle.
Robin des doigts a un petit coté beauf mais Lucie lui porte beaucoup d’affection. « Il n’incarne pas juste la masculinité qu’on déteste. Il a un coté touchant et masculin qui est un peu le mien ». Depuis, elle se sert de ce personnage pour militer pour les droits de la communautés LGBT+. Robin des doigts est un outil pour Lucie. Un outil d’expression redoutable.
