Kris déambule à moitié nu dans son appartement grenoblois. Le sourire aux lèvres, il lance : « Désolé si ça te gêne, je suis un peu chlostrophobe, je n’aime pas rester seul dans une pièce. » Alors, tout en tirant sur ses collants, il raconte tout. Ce qu’il utilise pour se transformer, la première fois où il a enfilé des talons hauts, sa vie de jeune adulte en France et son enfance passée en Bulgarie. Il faut dire que l’on n’aurait pas pu rencontrer plus enthousiaste que Kris, à l’idée de participer à Iwantodragfree. Enfin, Miss Dicky.
Qui es-tu, Miss Dicky ?
« Je suis une drag-queen. Mon truc, pour les performances, c’est de faire du lip-sync. Le nom, Miss Dicky, c’est l’idée de mon manager et mari, Esteban. J’ai déjà fait du transformisme avant, quand j’étais en Bulgarie. »
A plus de 2000 kilomètres de Grenoble, c’est à Stara Zagora, en Bulgarie, que Kris a vu le jour. C’était il y a 21 ans. « Je n’ai pas de problème avec ça. Mon histoire, tout le monde la connait. Je peux te la raconter. J’ai été élevé par mon demi frère parce que mes parents m’ont abandonné à la naissance. Je n’ai jamais su pourquoi », dit-il simplement. Sans trop s’étendre sur son enfance, il enchaine : « Je suis arrivé en France fin 2017, pour mes études. Je n’avais rien, à peine 1000 euros sur mon compte. J’ai été à la rue pendant quelques mois. A la gare, avec toutes mes affaires. » Deux mois après son arrivée, il trouve enfin un travail et réussi à se faire loger.
S’il est important d’évoquer la Bulgarie pour dresser le portrait de Kris, c’est parce que c’est là qu’il a fait ses premiers pas en talon haut. En plus de ses premiers pas, tout court. « Je suis devenu drag-queen sur un coup de tête. Je suis l’enfant d’une grande drag, qui était mon coiffeur. Un jour, il m’a parlé de ce qu’il faisait, m’a montré des photos. A ce moment-là, je ne connaissais rien de tout ça ». Mais le jeune Bulgare est un passionné de théâtre d’improvisation. Alors, il se lance. Et cette expérience va durer trois ans.
« Un jour, des mecs nous ont suivi et lancé des pierres »
Trois ans pendant lesquels il se produit avec un petit cercle de drag-queens amateurs, dans un bar bulgare. « On essayait toujours d’y aller avec des mecs baraqués pour nous protéger. Souvent, on se préparait dans le bar parce que le trajet n’était pas sûr. » A tel point que régulièrement, le petit groupe est pris à partie : « On a eu trop de problèmes. On nous attaquait directement. Un jour, des mecs nous ont suivi et lancé des pierres. Ils venaient même jusqu’à chez nous pour nous menacer ». Inutile donc de préciser que son pays natal ne lui manque pas. « Je déteste cet endroit », ajoute-t-il quand même.
Aux côtés de son futur mari, Esteban, Kris est heureux en France. D’autant plus, depuis que ce dernier a accepté qu’il reprenne le drag. « J’ai arrêté pendant deux ans quand je suis arrivé ici. Quand j’ai voulu m’y remettre, j’ai dû convaincre Esteban, parce qu’il était un peu sceptique vis-à-vis de tout ça ». Alors, maintenant, son côté drag-queen, il n’a pas tout du envie de le cacher. « Je ne comprend pas ceux qui ne veulent pas en parler, ce n’est pas l’idée du drag ! Le but, c’est de se montrer ! Surtout qu’on le peux, on n’est pas dans un pays où c’est illégal! »
En 2017, les soirées drag n’étaient pas vraiment à la mode. « C’est vrai que ça s’est développé ces dernières années. Avant, à Grenoble, il n’y avait rien et là, les soirées s’enchainent ! » Selon lui, tout cela est dû à « une nouvelle vague de gays qui est arrivée à Grenoble. » D’ailleurs, son petit cercle de drag queen grenoblois se compose d’une dizaine de personnes. « Que des jeunes, la plupart ont 21, 22 ans, comme moi. »
Voudrait-il vivre de cette passion ? « Non, je n’ai jamais fait ça pour gagner de l’argent. Si je pouvais être payé pour mes performances, j’utiliserai tout pour m’acheter de nouvelles tenues. » Alors, il cherche actuellement un emploi dans l’accueil, par exemple. Mais même là, sa deuxième peau de queen ne le quitte pas. « Je suis très ouvert, je le dis à mes employeurs ! » Certains rougissent, d’autres s’intéressent. Peu importe, ils devront l’accepter. Derrière la silhouette de Kris, il y a l’ombre de Miss Dicky.