Pendant que Robin des bois
vole aux riches pour donner aux pauvres,
Robin des doigts milite à Montpellier
pour les droits de la communauté LGBTQ+.
D’un pas discret, un brigand au grand cœur pousse la porte d’un bar de la rue de la Fontaine. Robin des doigts vient de faire son entrée aux Trois singes. Même les néons rouges de l’enseigne grésillent à son passage. Nous sommes le mercredi 26 juin. Cette nuit, Robin des doigts porte une chemise à fleurs qui contraste avec sa barbe naissante. Une barbe d’un noir profond. Trop profond pour être réelle. Cette barbe n’en est pas une.
Robin des doigts est un drag-king. Et si son entrée n’est pas plus remarquée que cela, c’est parce qu’il n’est pas le seul à jouer avec son genre. Un drag-king parmi les drag-queens et les personnalités queer, à l’image d’Arielle. Cette petite sirène en robe rose porte la coiffe d’un pirate. Elle invite les passants à entrer dans le bar. Ce soir, c’est le grand soir. La première scène ouverte queer de Montpellier, baptisée Freaks-tion. Frissons garantis.
«Quand je dis queer, on me demande toujours ce que c’est, je passe mon temps à l’expliquer», rit-elle, accoudée à la pancarte “scène ouverte”.
Et donc, queer, c’est quoi ?
«Queer, ça veut dire bizarre en anglais. C’est un terme qu’on utilise, qui rassemble tout ceux qu’on a considéré un jour, ou qu’on considère toujours comme bizarre.»
La promesse que fait Arielle, cette nuit-là, c’est qu’un moment unique se trouve derrière la porte des Trois singes. «C’est une scène très variée. On a déjà eu quelqu’un qui est venu parler d’une agression sexuelle dans la rue… Mais il y a aussi de la danse, du strip-tease, du play-back. L’idée est d’aller de plus en plus vers un événement engagé et militant.»
Voilà un an qu’Arielle est une sirène, quand l’occasion se présente. « En fait, Arielle, c’est mon deuxième prénom, sourit-elle. J’avais envie de le porter depuis longtemps. » Un jour, ce passionné de théâtre, de 25 ans, a sauté le pas. Il a créé de toute pièce son personnage et se réjouit de monter sur scène : « Dans ces soirées, il y a un côté safe (sécurisant, NDLR) qui est très important. Tout le monde est bienveillant. Peu importe ce qu’on fait sur scène, on ne va jamais être jugé. C’est une expérience qui est vraiment chouette.»
«Avant, on se rencontrait plutôt dans des soirées organisées par la communauté»
Engagé et militant. Rien qu’à voir Arielle déambuler dans une rue passante du centre-ville de Montpellier, on comprend que tout cela n’a rien d’anodin. L’aurait-on vue, il y a 20 ans, 30 ans, démarcher les passants à deux pas d’une église ? «À mon avis, ces soirées-là sont plus accessibles maintenant, note Emma, une jeune spectatrice. Avant, quand on était drag-queen, king ou queer, on se rencontrait plutôt dans des soirées organisées par la communauté.» Quant à la définition de queer, elle tente : «Pour moi, queer, c’est une case… pour ceux qui ne veulent pas être dans une case. Ici, on peut venir en étant qui on est, sans être jugé.»
Le récit d’Emma, c’est aussi celui des difficultés rencontrées par les LGBT+. « On cherche des endroits safe comme celui-ci car le reste du temps, il m’arrive d’être insultée parce que je suis lesbienne. Un jour on m’a même craché dessus. » D’ailleurs, en ce moment, la jeune femme recherche un appartement. « C’est compliqué, j’ai eu de mauvaises expériences avec certains propriétaires. Maintenant, j’hésite à dire que je cherche un appart’ avec ma meuf, que je suis en couple… ou que je suis en collocation. » Alors, cette soirée queer est aussi un moment d’évasion, pour elle. Suspendu au dessus d’une réalité qui n’est pas rose, mais bel et bien arc-en-ciel. « J’aimerais bien me lancer dans le drag-king, confie-t-elle. Mais pour cela, il faut de l’audace, de la créativité, oser se lancer et jouer avec les codes. Ensuite, un peu de make-up et quelques fringues suffisent. »
Les lumières s’éteignent.
Le visage d’Emma se perd dans la foule et Marin, l’organisateur de la soirée, saisit le micro. La soirée Freaks-tion vient tout juste de commencer.
Levé de rideau sur la communauté queer
Dans la pénombre d’un bar transformé en sauna en ce soir de canicule, on s’attend à voir défiler tout un cortège de paillettes aux couleurs de l’arc-en-ciel. Mais cette nuit queer sera bien plus surprenante. Pour l’instant, elle commence avec beaucoup de légèreté. La première performance d’Arielle est suivie par celle d’une dénommée Mindy Supergreen. Sous les applaudissements, elle fait claquer ses talons hauts sur le plancher de la scène. Place au spectacle.
Qui se cache derrière Mindy Supergreen ? Top chrono. Vous avez le temps d’une chanson, pour le deviner. La présence d’une perruque ne fait aucun doute. Le maquillage, surchargé, transforme peut-être les traits d’un visage plutôt masculin. En revanche, ses mains, sa poitrine… Ce personnage est-il vraiment une drag-queen ?
Si le principe d’une soirée queer et de questionner le genre, l’effet est réussi. Son jet de confettis termine d’éblouir le public. Les sifflements et les cris ne se font pas attendre. La surprise se de découvrir, le lendemain, sur son profil Instagram que Mindy Supergreen est une femme. Une femme, qui joue avec les codes des drag-queens.
La folie retombe lorsque Medusa Dickinson (lire son portrait) s’empare du micro. La fantaisie laisse place au drame, raconté par une drag-queen qui semble être en deuil. Passer du rire aux larmes, c’est donc ça, le principe d’une soirée queer ?
Des cicatrices révèlées sur scène
C’est bien là que se trouve toute la complexité de cette soirée Montpelliéraine. Pour être honnête, on pensait voir des performances drag-queens en entrant dans ce bar. De la danse, du lip-sync (play-back)… Sur la dizaine d’artistes qui sont montés sur scène, seuls trois l’ont fait. Les autres ont profité de cette tribune pour faire élever leur voix et parler des difficultés rencontrées par les LGBT+. Une étudiante en théâtre a même proposé un extrait d’une pièce de théâtre qu’elle a écrite. Sur scène, elle racontait le suicide d’une jeune fille homosexuelle. Une autre femme, déguisée en pirate, a clamé des chansons féministes.
Une troisième avait écrit le récit de son coming-out : “Ok, j’avais prévu de parler cinq petites minutes et en écrivant mon texte, je me suis retrouvée avec cinq pages.” Cinq pages qui détaillent la vie d’une enfant qui se découvre lesbienne dans une famille catholique. D’une tentative de suicide qu’elle a caché pour ne pas faire mauvaise impression à l’église. Pourtant, ces cicatrices sont là, toujours. Sur cette scène, devant une cinquantaine d’inconnus, elles hurlent leur douleur. Et le public applaudit la jeune femme d’avoir jeté ce fardeau, façon thérapie de groupe. Ce soir-là, la scène queer n’a plus rien du divertissement. Elle est devenue en quelques heures la voix du militantisme LGBT+.