La House of boner « une farce de la famille parfaite »

À l’été 2018, Robin des doigts et Medusa Dickinson se sont mariés. Lors d’une performance, bien sûr. Mais l’idée est là. Par leur union, ils ont créé un groupe de drags-queens et kings qui s’appelle la « House of boner ». Depuis, ils cherchent à faire connaitre la communauté LGBT+ du grand public. Cette house propose donc des activités de sensibilisation et en profite, souvent, pour critiquer la société actuelle qu’elle juge « trop normée ». « Cette house avec un papa et une maman est comme une farce de la famille parfaite », précise Medusa Dickinson. Dimanche 15 septembre, pour transmettre leur message aux enfants, ils ont organisé une lecture de contes à la libraire Fiers de lettres. Medusa Dickinson nous dit tout de ce projet, dans les tuyaux depuis la création de leur maison du bonheur.

D’où vous est venue l’idée de cette lecture de contes ? 

C’est le tout premier projet qu’on voulait faire avec Robin. On savait que ça existait déjà à Paris. Ça nous a touché dès le début parce qu’avec notre house, on cherche à casser les codes. On a l’habitude de faire des soirées avec de la communauté LGBT+ et on voulait élargir notre visibilité et notre engagement à des gens qui ne sont pas concernés par les LGBT+. On s’est dit : « Pourquoi ne pas faire de la lecture de contes auprès des enfants? ».

Quel est le but de ce type d’action ? 

Le but n’est pas juste de se montrer mais de pouvoir faire passer des messages à une communauté qui n’est pas la nôtre. On cherche à faire découvrir aux familles hétéroparentales l’acceptation des personnes différentes. C’est une façon de lutter le harcèlement que des enfants pourraient subir. Par exemple : si on dit à tous les enfants, dès le plus jeune âge, qu’une fille a le droit de jouer au foot, elle ne sera jamais embêtée parce que les autres sauront qu’elle en a le droit. C’est un moyen pour les enfants qui sont jugés comme différents de se sentir normaux et d’être acceptés. Ce genre de lectures permet aussi d’éduquer les parents et de leur donner une bonne base éducative qu’ils transmettront à leurs enfants.

Ce n’est pas trop perturbant pour un enfant de voir une drag-queen et un drag-king lire un conte, quand on n’y connait rien du tout à la communauté LGBT+ ?

Le fait d’avoir une drag-queen et un drag-king en face d’eux les plonge dans un monde un peu féérique. On ne va pas se mentir, souvent ça les impressionne. Ça peut faire peur même. J’avoue avoir fait pleurer des enfants ! Bichon… en même temps il était tout petit ! Il devait avoir un an et d’un coup, il s’est retrouvé devant quelqu’un de gigantesque avec des talons hauts et une grande perruque… En plus, pour certains personnages on doit faire des grosses voix. Alors, il s’est mis à pleurer.

Comment tu te sens quand tu provoques ce genre de réactions ? 

Je le comprend, le petit. De mon côté, c’est le genre de moments où même si je suis dans mes petites chaussures, sous mon maquillage et ma perruque je reste un humain. J’ai conscience que je peux surprendre. Je peux émerveiller mais aussi faire peur. D’autant plus quand je suis dans un milieu qui n’a pas l’habitude de moi.

Les adultes ont-ils les mêmes réactions ?

C’est très étonnant… Dans un milieu hétéro et même gay, on ne se sent pas toujours à sa place parce qu’on est une créature étrange. Mais on s’habitue très vite. Parfois, j’ai tellement l’habitude d’être marginalisé que je me dis : « Je m’en fiche, je vais m’amuser, ce n’est pas grave ». Avec des enfants, ça l’est encore moins parce que tu sais que tu intrigues… mais ce sont des enfants ! Ils ne connaissent pas et si tu leur explique gentiment ils vont t’accepter. C’est juste qu’avec eux, les réactions sont beaucoup plus intenses mais aussi plus volatiles et passagères : une fois expliqué, la peur s’en va. Pourquoi la vie n’est-elle pas aussi simple pour tout le monde ? Ce serait tellement chouette !

« Quand tu viens en drag, tu viens pas pour être humain. Tu es juste une créature fantastique et les enfants s’en fichent.« 

Medusa Dickinson, drag-queen

Qu’est-ce que tu dis à un enfant qui te demande qui tu es ? 

Si on me dit : “Je sais que tu es un garçon”, je ne vais pas répondre oui ou non mais plutôt demander pourquoi. Là, on va me répondre : “Parce que tu as une barbe”. Est-ce que tous les garçons ont une barbe ? N’y a-t-il que les garçons qui en ont une ? Une femme peut avoir une barbe ! Tous les hommes n’ont pas de barbe. L’enfant n’a pas conscience de tout ça mais par ces questions, on va lui faire comprendre qu’il n’y a pas de vraie norme. Au lieu d’avoir une réponse il en aura 150 000 et pourra se faire lui-même sa propre réponse. On n’est pas là pour dire homme ou femme, on est comme ci ou comme ça. Peu importe qui on est, on est tous magiques et merveilleux. Même sans perruque, même sans maquillage. Quand tu viens en drag, tu ne viens pas pour être humain. Tu es juste une créature fantastique et les enfants s’en fichent.

Aucun enfant n’a posé de question sur ton genre ?

La seule question que j’ai eue, c’est sur mon âge. Comme mon personnage de Medusa est très ancien, j’ai répondu que j’avais 472 ans. C’est plutôt ça qui a choqués parce qu’ils se sont demandé comment je faisais pour être aussi vieille. Tu te doutes bien que dans ce contexte, les questions sur le genre et la barbe, ils s’en fichent. C’est souvent une problématique d’adulte, en fait.

Il faudrait lire plus de contes aux adultes, alors ?

Imaginons qu’il n’y ait pas eu d’enfants, notre but est de continuer à faire des lectures, même si c’est pour des adultes. On cherche à parler de la culture de notre communauté ! C’est important de savoir d’où l’on vient et quels sont les mouvements qui ont existé avant même notre naissance. Quand je vois que des jeunes ne connaissent pas Stonewall, c’est quand même dommage ! C’est social, c’est politique. Nous sommes des drag-queens et kings politisés parce qu’on veut propager notre culture. On essaye de venir avec nos gros sabots et nos hauts talons pour expliquer notre histoire que tout le monde ne connait pas. 

Quels genres d’histoires lisez-vous aux enfants ? 

C’est l’histoire de ….

Aucun conte classique, alors ? 

C’est sûr qu’on ne va pas lire « Le petit chaperon rouge ». Surtout qu’il y a beaucoup de sexisme dans les contes d’une manière générale. On a la chance d’avoir des contes qui parlent de l’homosexualité, des questions de genre… Avant ça n’existait pas et maintenant ça prolifère, heureusement ! C’est pour ça qu’il y a des groupes de drags comme celui de Shannabanana qui font aussi des lectures. On essaye d’ouvrir cette activité à tous et on aimerait même toucher les écoles !

Faire venir des drag-queens dans les écoles ? 

Bien sûr, c’est très difficile. Un ami à nous travaille dans une école et a essayé d’en parler mais il n’y a rien de concret. J’ai contacté une école qui est assez ouverte d’esprit et même eux ont peur des réactions des parents. Il ne faut pas l’oublier : dans une librairie, ce sont les parents qui emmènent leurs enfants. Dans une école, on rentre dans un lieu privé. Il y a aussi ce coté “On connait de plus en plus la communauté drag mais on ne lui fait pas encore confiance à 100% ». On a encore beaucoup de chemin à faire. Même dans les lieux qui sont très acceptants, certains sont sceptiques et nous demandent de faire nos preuves et de revenir ensuite.

Propos recueillis par