Robin des Doigts : « Je peux avoir un vagin, être une femme et être très masculine »

Robin des doigts était le dernier à monter sur scène à la soirée Freaks-tion de Montpellier (lire ici). Comme si cette performance lui était adressée, il a parlé de sa mère, victime d’un AVC, qui semble aujourd’hui se remettre de ses séquelles et redécouvrir la vie. Nous l’avons rencontré pour parler de ce qu’il est : un drag-king. Saviez-vous même que cela existait ? « Depuis que je suis gamin, j’ai toujours aimé me travestir, je me déguisais en mon père. Jusqu’à l’âge de 13, 14 ans, juste avant l’adolescence, je me considérais vraiment comme un garçon. En tout cas, dans tous les rôles sociaux », entame-t-il. Il ? Elle ?

« Tu sais, normalement on ne parle pas trop de ça chez les drag, rit Robin. Qu’est-ce que tu veux savoir ? Je m’appelle Lucie, j’ai 29 ans et je suis commerciale… voilà ». Ce voilà en dit long sur sa pensée. Quand elle est Robin des doigts, Lucie ne parle pas d’elle. « Le problème, c’est surtout en soirée. Les gens te demandent souvent ce que t’as entre les jambes, c’est assez gênant en fait. J’entends des : “Oui, non, mais je veux dire, t’es un garçon ou t’es une fille ? Mais t’as une bite ou t’as une chatte ?” Je viens de danser ou faire un stand-up, je ne comprends pas trop le but de parler de mon entre-jambe. Mais ça c’est l’idée binaire qu’on a des choses ». Pour être tout à fait clair, Lucie se considère comme une femme cis-genre. Autrement dit, elle se sent bien dans le corps de femme dans lequel elle est née. Mais elle aime aussi performer son genre. Depuis toute petite.

« Je peux avoir un vagin, être une femme et être très masculine »

En 2015, elle participe à son premier atelier drag-king, organisé par Louis Deville, un king parisien. Derrière Louis Deville, il y a une américaine qui vient du cabaret. Elle a été l’une des premières femmes à faire du drag-king en France. « J’y suis allée à reculons. J’avais peur que ça me ramène à des questionnements que je pensais réglés, sur mon statut de femme, pas femme… j’étais bien dans mon corps et dans ma peau mais je sentais que je ne correspondais pas au rôle que m’attribue la société parce que j’ai un vagin. » Alors, pour explorer toutes les facettes de sa personnalité, elle s’y rend avec sa copine de l’époque et tout se passe bien. Lucie est même rassurée : « Je crois que tout ce que je suis et que je produis en interaction sociale et en comportements, ce sont des choses que je construits, que je choisis ». Finalement, tout cela n’est pas binaire et ne s’inscrit pas dans un modèle prédéfini par la société. « Je peux avoir un vagin, être une femme et être très masculine. Et inversement. Et en fait, je m’en fout. Ce n’est pas quelque chose qui est compliqué à vivre comme ça a pu l’être avant ». 

Cette première transformation en drag-king la libère et lui permet d’approfondir son questionnement : « Ok, le genre c’est social. Mais la masculinité, la féminité, qu’est-ce que ça veux vraiment dire ? » Elle assiste à son premier cabaret de kings et en ressort très impressionnée. C’est à partir de là qu’elle commence à se “kinger“ chez elle et en soirée, de temps en temps. « D’ailleurs ce n’était pas forcément des soirées drag. C’était seulement moi, en drag-king. C’était ce que je voulais être et ce que j’étais. Parfois j’y allais aussi en fille. Ça a duré plusieurs années ». 

Son drag-king est une gouine

À cette période-là, Lucie habite à Marseille et prépare son arrivée à Montpellier. Ce déménagement, en 2017, marque aussi un nouveau départ dans sa vie de drag-king. « J’avais envie de faire quelque chose d’un peu plus travaillé, d’avoir un vrai personnage, faire la scène et évoluer dans un milieu drag ». Malheureusement, lorsqu’elle arrive, la scène drag montpelliéraine est quasi-inexistante mais Lucie ne se décourage pas. Elle travaille son personnage et sort dans les bars de Montpellier. Robin des doigts est né.

D’où vient ce nom ? « J’aime bien l’idée d’avoir un petit héros qui donne aux riches pour donner aux pauvres. Des doigts, c’est décalé, ça rend mon héros un peu bancal. Parce que Robin n’est jamais 100% sérieux, il y a toujours un truc qui merde chez lui ». Le personnage de Robin des bois devient donc sa version drag, Robin des doigts. Drag et lesbien : « Mon drag-king est une gouine et ça, c’est inséparable. C’est mon identité politique, notamment queer. Pour rappeler tout ça, “des doigts“, c’était parfait », sourit-elle.

Robin des doigts a un petit coté beauf mais Lucie lui porte beaucoup d’affection. « Il n’incarne pas juste la masculinité qu’on déteste. Il a un coté touchant et masculin qui est un peu le mien ». Depuis, elle se sert de ce personnage pour militer pour les droits de la communautés LGBT+. Robin des doigts est un outil pour Lucie. Un outil d’expression redoutable.